Ma première rencontre avec Norval Morisseau, avec une de ses toiles mais c’était un peu comme une rencontre avec lui, c’était dans un encan où les pauvres revendent leurs misères. Je ne savais rien du grand peintre amérindien quand j’ai vu cette toile, pliée à terre, le châssis en morceaux, comme si l’œuvre elle-même avait subi la torture. Un personnage de profil élevait un tambour, ou peut-être que le tambour s’élevait lui-même dans des lueurs d’aube et de crépuscule mêlées, comme une lune ou un soleil voilé. Un trait noir dessinait les contours de ce personnage assis dont le corps était rempli d’un paysage tout juste signalé par quelques arbres lointains, minuscules. A l’instant où j’ai eu déplié cette toile, j’ai senti la suspension du temps émanant de la peinture. Elle ne m’a plus jamais quitté. On retrouve dans toute son œuvre un tracé noir qui évoque le plomb des vitraux dont la lumière l’avait émerveillé dans l’église qu’il fréquentait lors d’une incarcération. Ce tracé est moins épais et primitif que chez Georges Rouault, mais surtout il se prolonge par des pointes qui évoquent autant de racines. Lui qui voulait briser les barrières entre le monde Blanc et le sien, j’espère que si son esprit visite un jour le M.A.S.C, il sera heureux de voir son joueur de tambour en compagnie des sculptures de Barnabus Arnasungaaq, mêlé aux œuvres d’artistes du Canada, d’Europe et d’Amérique centrale. Il disait que sa peinture tait une médecine de chamane et c’est peut-être d’abord le temps qu’il soigne en nous en maintenant présentes les croyances de son peuple.
Patrick Cady