Quand on s’intéresse à l’œuvre d’Osvaldo Ramirez Castillo, on trouve le crayon. Quand on ne peut pas s’empêcher de fouiller le net à la recherche de traces de son histoire, on trouve la gomme. Tous reprennent en chœur qu’à onze ans, il a fui le Salvador, comme si le petit bonhomme avait fait sa valise tout seul. Il confie quand même dans une entrevue que sa mère s’est décidée à réclamer la protection que le Canada offrait à l’époque. Silence total sur le père, silence terrible dans de telles circonstances. Et il ne dit pas ce qui a décidé sa mère. J’ai entendu un galeriste dire qu’un membre de sa famille s’était fait égorger. Ça ou autre chose avait rendu la guerre civile qui ravageait le pays, trop proche. J’ai fini par découvrir une autre confidence : enfant, il dessinait sur le trottoir devant chez lui et lui, que du coup je me suis mis à appeler Osvaldo, avait ajouté que ce souvenir d’enfance contrastait avec l’horreur qui les entourait. Sur un trottoir, on dessine à la craie et un enfant sait que son dessin est voué à s’effacer sous les pas des humains, les griffes des chiens et le balai des concierges. L’aboutissement actuel du travail d’Osvaldo consiste par superpositions d’images et de destruction progressive du dessin, à réaliser des vidéos d’animation où des personnages sont peu à peu effacés. Osvaldo a expliqué que faire œuvre par la destruction de ces dessins représentait un des massacres les plus terribles de cette guerre, l’extermination des mille habitants du village d’El Mozote. Un des personnages dont on assiste à l’effacement n’est pas loin d’un autoportrait, mais même si ce n’était pas le cas, l’effacement de toute dimension autobiographique intime dans son œuvre ne serait-elle pas elle-même, paradoxalement, partie intégrante de son œuvre ? Quand j’ai regardé de nouveau les œuvres qui précèdent ces vidéos de l’effacement, je me suis rendu compte que chaque dessin était entouré de vide, un vide qui me donnait l’impression qu’Osvaldo ne dessinait jamais sur du papier neuf, mais sur un effacement déjà accompli, celui de sa propre histoire étant exemplaire de celui de son peuple. J’ai d’autant plus ressenti ce vide que le crayon d’Osvaldo relève un défi presque unique dans l’Histoire de l’art : dessiner la chair. Je dis « presque » parce qu’il y a Hans Bellmer et Sylvain Martel. Aux traces de l’effacement, Osvaldo oppose la représentation de la chair et donc de la vie dans tous ses excès.
Patrick Cady