On ne trouve presque rien sur la vie d’Arthur Villeneuve, sa vie d’avant la peinture, avant qu’il commence par peindre tous les murs de sa maison, comme si sa peinture avait aussi recouvert son histoire. Il a travaillé dès l’âge de 14 ans dans la pulperie qui abrite maintenant le musée consacré à son œuvre, avec sa maison démontée et remontée, là où les nécessités de la vie retardaient son entrée en peinture. Il s’y est consacré du jour au lendemain, semble-t-il, après avoir entendu un sermon sur l’Evangile où le Christ lui pose la question : « Qu’as-tu fait de ton talent ? » Il devait être déjà à la retraite puisqu’on raconte qu’il mettait jusqu’à cent heures par semaine à peindre sa maison. Du sol au plafond, ça ne lui a pas suffit, il a peint les murs extérieurs, ignorant la colère des voisins qui le traitaient de fou. Peut-être s’est-il souvenu des Hébreux chez Pharaon, peignant leurs portes pour que Dieu les reconnaissent et les épargne, la nuit où sa violence meurtrière se déchaina sur les bébés des Egyptiens. Peut-être a-t-il voulu que ce Dieu connaisse ce qu’il avait fait de son talent. Ce n’est pas celui d’un peintre naïf de plus. Même dans les villages et les champs, d’une apparence convenue qui répond aux critères du naïf, une étrangeté se cache et se révèle. La roche, la terre et l’herbe peuvent contenir un enchevêtrement de têtes et de corps où l’animal et l’humain se mêlent. Mais c’est surtout dans le traitement des personnages que se révèle une force primitive. Ils sont tous poilus, comme s’ils étaient toujours au bord d’une transformation chamanique , comme le docteur Jekyll basculant dans le mister Hyde. Avec leurs vêtements, ils ont l’air déguisés en humains. Leur étrangeté est encore renforcée par le fait qu’ils sont presque tous peints de profil avec un œil très grand qui vous fait face. Cet œil n’a pas l’air de faire partie du visage sur lequel il est peint, œil du peintre qui défie notre propre regard œil fixe du fou dans son obsession, œil de Dieu qui voit en vous ce que le tableau révèle.
Patrick Cady